Prêt de main d'œuvre illicite
Qu'est-ce que le prêt de main d'œuvre ?
Le prêt de main d'œuvre consiste pour un employeur à mettre à disposition d'une autre entreprise un ou des salariés pour pallier un manque d'effectif, faire face à une surcharge d'activité, ou fournir des compétences sur des missions techniques qui n'existent pas en interne. Cette opération n'est autorisée qu'à certaines conditions, faute desquelles elle devient illicite et constitue un délit.
Ainsi, selon l'articleL.8241-1 du code du travail, "toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'œuvre est interdite".
Dans quels cas le prêt de main d'œuvre est-il illicite?
La pratique du prêt de main d'oeuvre est illicite quand
Elle est à but lucratif
L'article L.8241-1 du code du travail précise dans son dernier alinéa que la fourniture de main d'œuvre n'a pas de but lucratif "lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition".
Ainsi, a contrario, l'opération est illicite si une contrepartie financière supplémentaire bénéfice à l'entreprise utilisatrice.
→ L'analyse des bulletins de salaire, bons de commande et factures permet notamment de déterminer le caractère lucratif ou non du prêt : le but lucratif est établi si l'entreprise utilisatrice réalise une marge bénéficiaire du fait de l'activité du salarié mis à disposition (Cour d'appel de Toulouse, 4ème Chambre Section 1, 9 septembre 2022, n° 19/03915), ou si le salaire de la personne mise à disposition est fixé selon le temps de travail effectué dans l'entreprise utilisatrice (Cour d'appel de Versailles, 17ème Chambre, 15 février 2023, n° 21/00695).
Elle présente un caractère exclusif
Un prêt de main d'œuvre est exclusif dès lors que l'objet du contrat est uniquement de mettre des salariés à disposition d'une autre entreprise.
→ C'est le cas par exemple si le salarié n'accomplit que des travaux ordinaires relevant de l'activité de l'entreprise utilisatrice, et que la prestation effectuée ne présente aucune technicité particulière justifiant le prêt de main d'œuvre (Cour d'appel de Versailles, 17ème Chambre, 15 février 2023, n° 21/00695). Ainsi, les juges du fond estiment que le prêt de main d'oeuvre n'est pas illicite "lorsqu'il n'est que la conséquence nécessaire de la transmission d'un savoir-faire ou de la mise en œuvre d'une technicité qui relève de la spécificité propre de l'entreprise prêteuse" (Cour d'appel de Versailles, 17ème Chambre, 1 avril 2015, n° 13/03643).
→ Pour apprécier le caractère illicite ou non du prêt de main d'oeuvre, les juges regardent également si le lien de subordination a été transféré ou pas à l'entreprise utilisatrice, notamment si l'employeur conserve ou pas le pouvoir de contrôle et de direction, et si le travailleur continue à utiliser les outils de l'entreprise prêteuse ou pas.
Ainsi, ils ont par exemple précisé que "réalise une opération de prêt de main d'œuvre à but lucratif interdite par la loi l'entreprise qui met des salariés à la disposition d'une autre entreprise en transférant à celle-ci le lien de subordination et l'obligation de paiement par son intermédiaire du salaire et des accessoires tout en prélevant un bénéfice pour elle-même" (Cour d'appel de Versailles, 17ème Chambre, 1 avril 2015, n° 13/03643).
Prêt de main d'œuvre illicite et marchandage
Le délit de marchandage, visé à l'article L.8231-1 du code du travail, est également défini comme une opération de fourniture de main d'oeuvre à but lucratif. La différence avec le prêt de main d'oeuvre illicite est que le délit de marchandage doit, pour être caractérisé, avoir pour effet de causer un préjudice au salarié ou d'échapper à l'application de dispositions légales ou réglementaires. Le délit de marchandage n'est pas non plus soumis au critère d'exclusivité.
Dans quels cas le prêt de main d'œuvre est-il autorisé?
Certaines formes de prêts de main d'oeuvre sont licites car expressément encadrés par des dispositions spéciales du code du travail : il s'agit du travail temporaire (intérim), du travail à temps partagé, du portage salarial, du prêt de mannequins ou de sportifs, ou de la mise à disposition de salariés auprès d'associations d'employeurs ou de syndicats (articles L.8241-1 alinéas 2 et suivants du code du travail).
A côté de ces contrats légalement définis, l'article L.8241-2 du code du travail précise que la fourniture de main d'oeuvre entre sociétés est licite à condition
qu'elle soit à but non lucratif,
que le salarié soit d'accord,
qu'une convention de mise à disposition soit établie et qu'un avenant au contrat de travail soit signé, précisant les caractéristiques et modalités de la mise à disposition (définition des missions, poste de travail, horaires, lieux de travail...)
✏️ Le comité social et économique doit être consulté préalablement à la mise en oeuvre d'un prêt de main d'oeuvre. Le statut du salarié mis à disposition est spécifié à l'article L.8241-2 du code du travail.
Concrètement, par une analyse a contrario des éléments entraînant l'illicéité du prêt, les opérations de prêt de main d'œuvre sont légales si elles ne sont pas exclusives et pas lucratives.
Par exemple, les juges du fond ont écarté le caractère illicite de la fourniture de main d'oeuvre pour des interventions limitées sur une période de temps restreinte (Cour d'appel de Nîmes, 5ème Chambre Sociale Ph, 31 mai 2022, n° 19/02309).
Prêt de main d'oeuvre, sous-traitance et prestation de service
Le prêt de main d'œuvre n'est pas un contrat de sous-traitance ou un contrat de prestation de service.
Le critère d'exclusivité permet notamment de distinguer le prêt de main d'œuvre illicite des contrats de sous-traitance ou de prestation de service, où l'objet du contrat est de réaliser une mission ou une prestation au moyen d'une main d'œuvre mise à disposition.
Les contrats de sous-traitance ou de prestation de service ont donc pour objet la réalisation d'une activité et non pas la fourniture de main d'œuvre. C'est pour cela qu'ils sont licites.
Ainsi, ne constitue pas une opération illicite de prêt de main d'oeuvre mais une réelle prestation de service la situation du salarié mis à disposition "selon un tarif forfaitaire et journalier pour accomplir des missions portant notamment sur la maintenance corrective et évolutive en environnement système, (qui) apportait un savoir-faire spécifique à l'entreprise utilisatrice" et "était demeuré sous l'autorité de l'entreprise prestataire" "qui procédait à ses entretiens d'évaluation et assurait sa formation" (Cour de cassation, Chambre Sociale, 18 décembre 2019, n° 18-16.462).
Quelles sont les conséquences de la caractérisation d'un prêt illicite de main d'œuvre ?
Des conséquences pénales
→ Selon les articles L.8243-1 et suivants du code du travail, le prêt illicite de main d'œuvre entre entreprises est une infraction pénale, sanctionnée par une peine de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Ces quantum sont portés à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende en cas de pluralité de victimes ou lorsque la victime est dans un état de vulnérabilité ou de dépendance, et à 10 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende en cas d'infraction commise en bande organisée.
La peine complémentaire d'interdiction de sous-traiter pendant une période de 2 à 10 ans peut être prononcée contre la personne physique auteur du délit, ainsi que les peines complémentaires de confiscation, d'affichage et de publication de la décision.
→ Les personnes morales déclarées responsables encourent quant à elle une amende dont le montant peut aller jusqu'à cinq fois celui encouru par les personnes physiques, ainsi qu'un certain nombre de peines complémentaires énumérées aux articles L.8243-2 du code du travail et 131-39 du code pénal (notamment : dissolution, interdiction d'exercer l'activité, placement sous surveillance judiciaire, exclusion des marchés publics, fermeture temporaire de l'établissement, confiscation, affichage ou publication de la décision, interdiction de percevoir des aides publiques).
Des conséquences civiles
La caractérisation d'un prêt illicite de main d'œuvre peut également avoir de lourdes conséquences sur le plan civil et en matière de droit du travail.
D'abord, le contrat de prêt de main d'œuvre illicite est nul : s'ensuivent toutes les conséquences attachées à la nullité d'un contrat.
Ensuite, le salarié peut demander réparation du préjudice subi en raison de son emploi au titre d'un contrat de prêt de main d'œuvre illicite.
En effet, si le lien de subordination est considéré comme ayant été transféré de l'entreprise prêteuse à l'entreprise utilisatrice, le prêt de main d'œuvre peut être re qualifié en contrat à durée indéterminée, et conduire à ce que la résiliation du contrat de prestation de service qui liait les deux entreprises s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que le salarié peut prétendre aux indemnités y afférents (Cour d'appel de Versailles, 17ème Chambre, 15 février 2023, n° 21/00695).
Des conséquences administratives
Des sanctions administratives peuvent être enfin prononcées par les DIRECCTE, comme l'interdiction de percevoir des aides publiques pendant un certain temps, l'obligation de rembourser en tout ou partie les aides publiques perçues, ou la fermeture administrative de l'établissement pour une durée de 3 mois au plus.
✏️ Le délit de prêt illicite de main d'œuvre est souvent associé à l'infraction de travail dissimulé.
Quel est l'état de la jurisprudence sur le prêt de main d'œuvre illicite?
Le caractère licite ou non du prêt de main d'œuvre fait l'objet d'une jurisprudence abondante.
L'appréciation des conditions peut s'avérer complexe et conduit les juges à une analyse concrète des situations, dont il est utile de prendre connaissance pour éviter tout risque d'annulation, de sanction pénale ou de re qualification. Il convient en effet pour les entreprises d'être particulièrement vigilantes en cas de recours à la sous-traitance ou au travail temporaire, afin de ne pas basculer dans une opération de prêt de main d'œuvre illicite.
→ La Cour de cassation s'est récemment à nouveau prononcé sur la qualification d'un contrat de prestation de services en jugeant que le prêt illicite de main d'œuvre n'était pas caractérisé vu "le caractère spécifique" des prestations effectuées, par un "personnel qualifié", et le fait pour la société prestataire de fournir le matériel et produits nécessaires, d'assurer l'encadrement et la responsabilité du recrutement et de l'administration des salariés mis à disposition (Cour de cassation, 4 mars 2020, n° 18-10636).
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