Rupture brutale des relations commerciales établies
La définition d’une rupture brutale des relations commerciales établies
Le principe de rupture brutale des relations commerciales établies trouve son origine dans la loi du 1er juillet 1996 dite loi Galland sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales.
Au sein du Code de commerce, l’article L.442-1 II du Code de commerce issu de l’ordonnance du 24 avril 2019 dispose aujourd'hui qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. »
Afin de caractériser la notion de rupture brutale de relations commerciales établies, deux conditions doivent être réunies.
La notion de relation commerciale établie
La notion de relation commerciale concerne toutes les formes de relations entre professionnels et exclut les relations entre professionnels et consommateurs. Les activités n’étant pas de nature commerciale sont également exclues.
Par exemple, l’application de la notion de relation commerciale a été écartée concernant un notaire (07-17556). En l’espèce, un notaire prétendait être victime de sa banque, alléguant que cette dernière avait rompu de manière abusive les crédits qui lui avaient été accordés. La relation commerciale disposée dans l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce entre le notaire et son banquier n’a pas été retenue.
Il faut également prendre en compte que la notion de relation commerciale établie est une notion plus économique que juridique. La Cour de cassation a rendu un arrêt le 9 mars 2010 (09-10.216) soulignant que « des relations commerciales entre deux sociétés peuvent être établies même si elles ne sont pas liées par un contrat ou qu’elles peuvent se prolonger après la cessation de leur contrat »
Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 23 avril 2003, la Cour de cassation (01-11.664) a également précisé que l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s’applique à l'achat et à la vente de produits mais aussi à la réalisation de prestations de services.
La jurisprudence a développé une conception large de la notion de relation commerciale établie. En effet, tout type de relation contractuelle qu’elle soit à durée déterminée ou indéterminée, continue ou discontinue représente une relation commerciale établie.
La succession de contrats ponctuels conclus entre les parties peut indiquer l'existence d'une relation commerciale établie (15-15.086). Le plus important est de savoir qu’avant la rupture, la relation commerciale présentait « un caractère suivi, stable, habituel et que la société X pouvait raisonnablement croire à une certaine continuité du flux d’affaires avec la société Y. En conséquence, c’est à juste raison que le tribunal a dit que les relations commerciales entre les parties étaient établies » conformément à un arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la Cour d’appel de Paris (21/08776).
En l’espèce, la société Euro Ingénierie Services (EIS) a assigné la société Renault Tech devant le tribunal de commerce de Lille, accusant cette dernière d'une rupture brutale, déloyale et vexatoire de leur relation commerciale. La Cour a jugé que la relation commerciale entre les parties était établie, mais que la rupture n'était pas brutale.
La notion de rupture brutale
Afin de caractériser la rupture de la relation commerciale, une rupture unilatérale d’une des parties à la relation est nécessaire.
L’article L.442-I du Code de commerce dispose qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ». La notion de rupture brutale sera alors caractérisée et retenue en l’absence de préavis ou dans le cadre de l'insuffisance du préavis.
Dans le cas où l’auteur de la rupture adresse un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et en respectant la durée minimale de préavis déterminée à son partenaire dans lequel est notifié l’arrêt de la relation commerciale, alors la rupture brutale n’est pas caractérisée. L’écrit peut prendre la forme d’une lettre, d’un mail ou d’une télécopie, cependant, ce dernier ne doit pas générer d’incertitudes. La volonté définitive de mettre fin à la relation commerciale doit être claire.
Concernant la durée du préavis, doivent être pris en compte :
l’objet de l’activité ;
la nature de l’affaire ;
l’ancienneté des relations ;
l’accord d’exclusivité ; et
le fait que la victime doit avoir le temps de se réorganiser.
Cependant, depuis la modification de l’ancien article L442-6 I 5° devenu article L442-1 II issu de l’ordonnance du 24 avril 2019, il est prévu qu’ « en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ».
C’est ce que la Cour d’appel de Lyon a rappelé au sein d’un arrêt rendu le 4 mai 2022 (21/00336). En l’espèce, la notion de rupture brutale n’a pas été retenue car l’auteur de la rupture a accordé un délai de préavis de 18 mois à son partenaire.
Dans quels cas un préavis n’est pas obligatoire ?
L’article L. 442-1 II° du Code du commerce dispose que : « Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou de force majeure ».
Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 mars 2019 (17-16.548) des factures non payées de façon répétée et arrivées à échéance permettent à l’auteur de la rupture de la relation commerciale d’y mettre fin sans préavis.
Une faute lourde peut également dispenser l’existence d’un préavis ainsi qu’une urgence de situation, menant ainsi à une rupture immédiate.
La réparation du préjudice de rupture brutale de la relation commerciale établie
La réparation du préjudice de rupture brutale de la relation commerciale porte sur le caractère brutal de la relation et non la rupture de la relation en elle-même. C’est une solution constante dégagée par la Cour d’appel de Paris (15/19284). En l’espèce, la société Mars Films a confié à la société Filmor la distribution en salles de ses films. En 2011, la société Filmor a vendu sa branche d'activité de distribution de films sur supports numériques à la société Filmor Num. En janvier 2015, les relations entre Mars Films et Filmor Num se sont détériorées. Filmor Num a assigné Mars Films en responsabilité pour rupture brutale de relation commerciale établie.
Le manque à gagner
La victime de la rupture brutale de la relation commerciale peut demander la réparation du manque à gagner.
Avant 2016, le préjudice était évalué en tenant compte de la marge brute prévue pendant la période de préavis non accordé. Afin de calculer la marge brute, une soustraction des coûts hors taxes engagés du chiffre d’affaires hors taxe est nécessaire. Depuis 2016, la tendance était tournée vers l’indemnisation sur la perte de marge sur coûts variables. Puis, en 2019, la Cour de cassation a rendu une décision mettant en lumière l’évaluation du préjudice réparable en considération de la marge brute (17-26.870). Concernant la Cour d’appel de Paris, cette dernière retient parfois la marge sur coûts variables puis parfois la marge brute.
Le préjudice de la rupture brutale de la relation commerciale est analysé au moment de la rupture.
✏️ À noter : il peut-être préférable de faire intervenir un expert pour déterminer la marge et la perte de marge.
Les pertes subies
Il peut arriver que le demandeur en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale évoque qu’en raison d’un préavis ne respectant pas les normes, les licenciements d’un ou plusieurs salariés ont eu lieu car la victime n’a pas eu le temps de rechercher d’autres partenaires commerciaux.
Dans ce cas, les coûts des licenciements peuvent être indemnisés si la rupture brutale en est la cause. Par exemple, le 20 octobre 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans ayant condamné l’entreprise Haulotte à indemniser au liquidateur judiciaire de la société Soudacier pour le coût des licenciements économiques des salariés. En l’espèce, les licenciements se sont faits 11 mois après la rupture de la relation commerciale. De plus, ces derniers avaient été prononcés à la suite de refus de postes. Les parties ont été renvoyées devant la Cour d’appel de Paris qui retient que la preuve concernant le fait que les licenciements en cause aient été causés par la brutalité de la rupture n’a pas été caractérisée (15/23816).
Aussi, concernant les investissements réalisés par la victime de la rupture brutale des relations commerciales au profit de l’auteur de la rupture, ces derniers sont pris en compte dans les pertes subies.
Le principe de non cumul
Dans un arrêt rendu le 27 mars 2019, la Cour de cassation souligne le fait que « le principe du non-cumul interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ». (16-24.630).
En cas de rupture brutale, même partielle de la relation commerciale établie, l’auteur de la rupture engage sa responsabilité civile délictuelle et s'expose à une condamnation à des dommages et intérêts.
Les juridictions de premier degré pouvant traiter des contentieux de rupture brutale de relation commerciale établie sont les tribunaux de commerce Paris, Rennes, Lyon, Bordeaux, Marseille, Fort-de-France, Nancy ainsi que Tourcoing.
✏️ À noter : une assignation en référé sous astreinte pour obtenir la continuation de la relation commerciale peut également avoir lieu.
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